Chevalier de Saint-GeorgesLe Chevalier de Saint-George naît en Guadeloupe, le 25 décembre 1739. Il est le fils illégitime de Guillaume-Pierre Tavernier de Boullongne et de sa servante Nanon.

Joseph a tout juste dix ans lorsque son père rentre à Paris, accompagné de Nanon et de Joseph. Très vite, l’éducation du jeune mulâtre est confiée aux meilleurs précepteurs.

La Boëssière le plus brillant maître d’armes du moment lui enseigne l’escrime, mais aussi la littérature.

Le chevalier Dugast qui ne reçoit en principe que des fils de la haute aristocratie le perfectionne en équitation.

Grand (1m80, ce qui est exceptionnel pour l’époque), exceptionnellement beau et d’une élégance raffiné, Joseph s’impose vite comme le meilleur escrimeur du royaume et l’un des meilleurs cavaliers. A moins de vingt ans, il devient la personnalité-phare de ce Paris enjoué où les nouveaux riches engloutissent des fortunes colossales dans la construction d’hôtels fastueux et dans les fêtes.

Mais plus que grand escrimeur et que formidable séducteur, c’est surtout un violoniste hors du commun.

Guillaume-Pierre de Boullongne, décidément obsédé par le souci de donner à ce fils à la peau noire l’éducation réservée aux aristocrates lui a offert pour professeur de violon Jean-Marie Leclair, le meilleur archet du royaume, et ancien musicien favori de Louis XV. Pour la composition c’est le grand Gossec qui est chargé de son enseignement. Après la mort de Leclair, la « place » de meilleur archet de France est vacante. Gossec l’offre à Saint-George dont il fait le premier violon et batteur de mesure du Concert des Amateurs qu’il vient de créer. Et deux ans plus tard, lorsque le compositeur anversois -alors auréolé par son sublime Requiem- s’en va prendre la direction du Concert spirituel, il confie à Saint George la direction des Amateurs. Joseph la conservera sept ans, marquant l’orchestre de son empreinte.

Dédicataire notamment d’oeuvres de Gossec, Lolli, et Viotti le « chevalier » de Saint George se lance, à son tour, dans la composition de concertos et de quatuors. Au prix d’un travail acharné, il hisse les Amateurs au rang des meilleurs.

En 1775, c’est la consécration : l’Almanach musical qualifie sa formation de « meilleur orchestre pour les symphonies qu’il y ait à Paris et peut-être dans l’Europe ». De fait, ses concertos pour violon attirent les foules dans l’immense hôtel de Soubise.

De nombreuses personnalités rejettent l’idée qu’un homme à la peau noire puisse diriger le plus prestigieux Opéra du monde.

On s’arrache ce beau mulâtre dans les salons. La rumeur lui prête une foule d’aventures galantes. Les sarcasmes racistes, aussi, pleuvent. Métra, poète et échotier qui régale le Paris bourgeois de ses gros calembours accuse ses conquêtes d’aimer « le vit nègre ». D’autres, à bout d’arguments concèdent que ce Monsieur de Saint George à certes du talent. Mais surtout pour imiter les blancs. Marie-Antoinette n’a cure de ces campagnes. Elle fait bientôt de Saint-George son professeur de musique. Peu après, Louis XVI nomme le musicien noir directeur de l’Opéra royal… poste jadis occupé par le grand Lully.

Le scandale est énorme, aussi grand, dit-on, que la guerre des bouffons qui a enflammé Paris quelques décennies plus tôt. Quelques divas refusent de jouer sous les ordres d’un homme à la peau noire. Parmi elles, Sophie Arnoud, une courtisane et chanteuse dont la voix était devenue très faible et la fameuse « Guimard », la danseuse immortalisée par Fragonard qui approchait déjà l’âge de raccrocher les ballerines. Le roi, finalement, renonce. Après deux ans seulement de règne, c’est son premier grand recul.

Cet échec inspire à Saint-George une prise de conscience.

La marquise de Montesson, épouse du duc d’Orléans, nomme Saint-George à la tête de son théâtre qui affiche, dès lors, régulièrement « complet ». Littéralement adopté par la branche cadette des Bourbons, Joseph se lie bien vite avec le duc de Chartres, héritier des Orléans. Le futur Philippe Egalité. L’un et l’autre sont faits pour s’apprécier : sportifs, un tantinet libertins, progressistes, anglophiles. Ils sont bientôt aussi inséparables que deux frères…qu’ils sont. Grand maître du Grand Orient, Louis-Philippe de Chartres a fait initier Saint-George à la loge des Neuf Sœurs, celle de Voltaire. Reçu clandestinement -la tête sous en sac, dit-on- le frère Joseph n’en accédera pas moins au trentième degré d’un ordre qui en compte trente trois. Il est le premier franc-maçon français à la peau noire.

Lorsque, les faillites en série qui frappent les grands mécènes contraignent le Concert des Amateurs à fermer ses portes. Saint-George crée une autre formation qui vivra du prix des entrées. Et pour gommer toute hiérarchie, le nouvel orchestre prendra la forme d’une loge maçonnique. Ainsi nait l’Olympique de la Parfaite Estime. Tous ses musiciens sont obligatoirement francs-maçons, initiés ou -généralement- affiliés. L’orchestre compte soixante pupitres auxquels s’ajoutent onze voix, ce qui est exceptionnel pour l’époque. L’élégant Joseph a tenu à ce que, lors des représentations, tous soient vêtus comme des nobles : habit brodé avec manchettes en dentelle, épée au coté et chapeau à plumes sur les banquettes. Quand ils jouent, il n’y a, alors, plus aucune différence entre le richissime marquis de Roquelaure et le délicat Devienne qui vit modestement chez un épicier de la rue Saint-Honoré. Marie-Antoinette fait souvent le déplacement de Versailles, accompagnée de sa « maison » , pour l’écouter.La collaboration avec un autre franc-maçon permet à Saint-George de composer son premier opéra. Choderlos de Laclos, initié à la loge de Besançon, rédige le livret de « l’Ernestine ».

L’orchestre le plus brillant de la capitale se devait de créer des oeuvres du compositeur le plus célèbre d’Europe. En 1787, Joseph commande à Josef Haydn ses six « symphonies parisiennes ». Et c’est le chef mulâtre en personne qui dirige leur création en présence de la reine. Marie-Antoinette se prend de passion pour l’une de ces symphonies qu’elle veut pouvoir écouter plusieurs soirs de suite. L’oeuvre en tirera son nom de « La Reine ».

Mozart le jalouse mais s’inspire de ses oeuvres.

Mozart qui séjournait à Paris en 1778 lorsque Saint-George y triomphait et y menait grand train, a tout fait pour éviter ce compositeur noir. Bravant les injonctions de son père, il a notamment refusé d’aller jouer pour l’orchestre des amateurs que dirigeait le « Nègre des Lumières ».

Dans le sillage du duc d’Orléans, Monsieur de Saint-George multiplie bientôt les voyages à l’étranger. Il est régulièrement à Londres où le futur Philippe Egalité puise régulièrement des projets progressistes. Il y devient bientôt la coqueluche de la gentry, à telle enseigne que le Prince de Galles, devenu son ami, entreprend de lui faire croiser le fer avec l’autre français célèbre de la capitale anglaise, le chevalier d’Eon. Ou plus exactement la chevalière car Monsieur de Beaumont a été prié quelques années plus tôt de se vêtir en femme, sur ordre du roi transmis par Beaumarchais.

Organisé le 9 avril 1787, le « fencing match » est l’un des événements mondains de l’année. Sans doute cette rencontre contribuera-t-elle à inspirer à Saint-George le thème de l’opéra qu’il composera peu après : « la fille garçon ». L’intrigue s’avère toutefois nettement moins primesautière qu’il n’y parait de prime abord. C’est, en effet, l’histoire d’une veuve de soldat qui pour faire échapper son dernier enfant à la mort au combat le travestit et l’élève en fille.

En 1790, il rentre en France et s’engage dans la Garde Nationale. Il est le premier colonel de l’armée française à la peau noire, où il crée un régiment de Noirs et Métis, rapidement surnommé la « Légion de Saint-George ». Son lieutenant n’y est autre que le futur Général Dumas. Emprisonné sous la Terreur, il reste onze mois dans le couloir de la mort. Mais après avoir aidé Toussaint-Louverture en Haïti, il reprend ses activités musicales avec succès.

il se voit confier la direction de l’orchestre du Palais royal. Et le charme opère à nouveau. Les parisiens viennent en foule acclamer ce chef dont les gazettes louent la précision de la direction. On le réclame à nouveau dans les salons et les grandes manifestations. Mais une sale maladie le ronge inexorablement.

Le 10 juin 1799, le premier compositeur noir de l’histoire de la musique s’éteint à Paris (rue Boucherat).

Trois ans plus tard, il connaîtra une seconde mort qui frappera, elle, son oeuvre : dès le rétablissement de l’esclavage en mai 1802, la musique de Saint-George sera, en effet, bannie des répertoires. Plus question, en effet, pour les esclavagistes de tolérer l’idée qu’un noir ait pu composer une si belle musique.

 

En collaboration avec L’association « Le Concert de Monsieur de Saint-George »