Lemy Lemane CocoAujouird’hui dans notre interview Dé mo, Kat pawol, nous recevons Lémy Lémane Coco, écrivain et poète, qui vient de publier « Rôles et Résistances des femmes esclaves », aux éditions Orphie.

Lémy, pour celles et ceux qui ne te connaissent pas, pourrais tu te présenter et nous décrire ton parcours.

Poète – Écrivain – Conférencier, je suis membre de la Société des Gens de Lettres de France. Sociétaire de la Société des Poètes Français et de la Société des Écrivains d’Alsace Lorraine et Territoire de Belfort. Ma bibliographie est composée d’une douzaine d’ouvrages de Poésies, Romans et Essais.
Mon travail d’essayiste est surtout axé sur l’étude du traumatisme historique généré par l’esclavage. C’est aussi une démarche personnelle pour mieux comprendre les schèmes reproduits, directement ou indirectement par les esclaves et leurs descendants. Je pense que c’est une approche nécessaire pour mon équilibre psychologique et celui de chacun.

En 2012, nous annoncions la réédition de ton essai, Histoire de l’esclavage dans les colonies françaises. Sur ce sujet, penses-tu que ton livre « l’Histoire de l’esclavage dans les colonies françaises », a pu consolider l’éclairage des aspects socio psychologiques et leurs conséquences sur le développement individuel de l’Homme Noir ? Penses tu que notre communauté puisse aller de l’avant et surmonter ce traumatisme historique et qu’elles sont les stratégies de recomposition de l’estime de soi à mettre en place selon toi ?

Le complexe socio-psychologique qui pèse sur les sociétés post-esclavagistes pose la difficulté d’épanouissement de l’individu, son développement personnel et le développement de l’estime de soi.
Je pense que tous les ouvrages traitant de l’esclavage, de manière générale, y compris (Histoire de l’esclavage dans les colonies françaises) apportent un éclairage sur la compréhension des structures idéologiques de l’Homme Noir et sur le mode de vie sociale des sociétés post-esclavagistes. Cela permet de dépasser les tendances antagonistes, de surmonter le traumatisme historique et de porter un regard sur soi. Ce regard est vital pour l’équilibre psychologique car c’est le jugement le plus important qui soit pour améliorer l’estime de soi qui se trouve à travers les liens d’interdépendances de trois composantes : L’Amour de soi, la Vision de soi et la Confiance en soi.

Lémy, l’esclavage a été reconnu comme crime contre l’humanité par la loi Taubira en 2001. Depuis, as-tu remarqué un meilleur enseignement de cette partie de l’histoire ? Est ce qu’il y a une meilleure sensibilisation et une meilleure approche de nos jours ?

Bien évidemment, cette loi a favorisé la divulgation de l’histoire qui occupe désormais une place importante dans l’enseignement, qu’elle soit scolaire, associatif ou familial. L’esclavage occupe sans nul doute une place importante dans l’imaginaire de chacun et c’est par son enseignement que nous parviendrons à guider nos intuitions personnelles plutôt que d’agir sous la pression des peurs, des idées reçues et des conditionnements du passé.
La sensibilisation provoquée par la loi Taubira nous permet d’acquérir une certaine culture de la mémoire, car la mémoire à le pouvoir de clarifier l’histoire et de favoriser l’équilibre de l’estime de soi.
Cet équilibre détermine la capacité que nous avons chacun à faire face aux défis de notre existence, de comprendre nos problèmes et aussi de les maîtriser.

Dans ton roman Grand Café (paru en 2011), tu narre la chronique douce-amère de ton ancêtre pirate. Pour la rédaction de cet ouvrage, tu as du te plonger dans une partie de l’histoire méconnue, telle qu’elle est enseigner en Métropole ; mais, faisant partie intégrante de l’économie des Antilles.
Penses tu que la richesse et la position stratégique que procurait les Antilles françaises à la France, n’a pas la place qu’elle devrait avoir dans les manuels d’histoires ?

La rédaction de Grand Café m’a permis de comprendre la stratégie de l’économie antillaise mise en place au travers de ses plantations et de ses spécificités. Mais peut-on prétendre organiser une économie antillaise sous le modèle de la France, sans tenir compte de la réalité historique des Antillais ? L’Histoire doit assurer un dépassement vers un avenir auquel le passé et le présent servent d’équilibre pour permettre aux sociétés antillaises d’affirmer leur potentiel économique. Elles doivent se libérer de leurs illusions économiques pour se fortifier et produire à l’intérieure d’une société libérée et égalitaire.

Dans ton oeuvre, la poésie est un point central depuis tes 13 ans. Quelles sont tes sources d’inspiration ?

Poétiquement parlant, mon inspiration a toujours été en fonction de mon état psychologique du moment. Lorsque j’étais enfant la condition de vie de mes parents et de mon entourage m’affectait beaucoup et comme l’aveu de souffrance morale ne faisait pas parti de mon éducation, je me suis exprimé par l’écriture qui s’est transformée en poésie. Ce mode de fonctionnement m’est resté et anime encore mes instants de doute ou de bonheur. Mes poèmes révèlent mes sensations, mes sentiments, mon chagrin, mes souhaits et aspirations. C’est en effet le point central de ma littérature.

Ton dernier essai « Rôles et Résistances des Femmes Esclaves », traite des femmes esclaves et de leur rébellion. Il est vrai que peu de gens connaissent le rôle des femmes dans la résistance et la résilience. Peux-tu nous décrire l’approche que tu as eu pour traiter ce sujet ? Penses-tu que ces femmes résistantes devraient prendre une place plus présente dans l’histoire, tout comme Lucie Aubrac et Olympe de Gouges ?

Mes recherches sur l’esclavage m’ont permis de mettre en évidence le peu d’intérêt que les historiens accordent aux femmes esclaves.
Ce manque d’intérêt m’a amené à approfondir les luttes pour l’émancipation des esclaves. Ainsi j’ai découvert la résistance des femmes par le suicide, l’automutilation, l’avortement et l’infanticide. Elles ont affirmé leur humanité et leur liberté dans la souffrance et la mort. Leurs actions nous commandent d’inclure dans leurs sacrifices toutes les valeurs contenues dans la conscience de soi.
L’objectif de cet ouvrage est : de restituer à ces héroïnes la place qui leur revient dans le combat d’émancipation du peuple noir. De considérer leur mémoire et leur histoire comme des éléments fondateurs de notre intégration au monde moderne. Elles ont engendré une véritable prise de conscience qui permit à la population esclave d’acquérir sa liberté. Elles ont donné naissance à une lignée de résistants auxquels nous avons trop souvent attribué tous les mérites. En dépit de la précarité de leur vie, les femmes esclaves ont pu construire une identité légitime et opérationnelle qui doit nous permettre de nous réapproprier l’héritage laissé par elles.

Lemy avant de refermer cette interview, je te laisse le mot de la fin.

Notre avenir est déterminé non pas par notre histoire individuelle ou collective, mais bien par ce que nous connaissons de notre histoire.

Nous refermons cette interview, et nous vous invitons à vous procurer « Rôles et Résistances des Femmes Esclaves », Ed. Orphie.