Aujourd’hui dans notre interview « Dé mo, kat pawol », nous recevons André Saint-Prix, ou comme nous l’appelons tous affectueusement  – Dédé Saint-Prix – le chantre du « Chouval bwa » et de la musique traditionnelle martiniquaise.
« Le griot des îles »comme on le surnomme aussi, fait partie des plus grands artistes martiniquais dont on ne parle pas assez.
Il est de ces artistes français que la scène musicale conventionnelle du paysage audiovisuel français, relègue à l’arrière-ban; alors que la diversité musicale française gagnerait à le faire connaitre au grand public.

Dédé Saint-Prix, pour celle et ceux qui ne te connaissent pas, malgré tes 48 ans de carrière. Pourrais tu te présenter et, nous raconter ton histoire ? 

Je suis né avec la musique. Pour satisfaire mon attirance, je consommais beaucoup en écoutant des disques, les stations radio de la Caraïbe, en allant assister aux répétions d’orchestres, à des prestations musicales nombreuses et variées comme les bals, punchs en musique, thés dansant, haute-taille, ladja, bèlè, chouval bwa, groupes folkloriques, cérémonies indiennes, la fanfare…

Depuis mon jeune âge, je tambourine sur tout ce qui me tombe sous la main, d’où le surnom « Dédéboum » que m’a donné Tatie Hiya, ma cousine.

Je fabriquais mes instruments de musique avec les moyens du bord : un peigne et du papier fin pour imiter la trompette, un tige de giromon ou de papaye devenait une flûte, les boites de conserve en guise de batterie… Dès que j’avais du temps libre, je formais un orchestre dans la cour de ma grand-mère.

À douze ans j’ai fait partie des Trouvères et depuis, je n’ai jamais arrêté.

À quinze ans j’ai participé au premier un disque de la chorale du François en tant que percussionniste.

Les autres groupes dans lesquels j’ai évolué sont : Madinina, les Juniors, les Maxi Twenty, la Sélecta, les Djoubaps, Malavoi, le groupe E+, Pakatak, Avan-van…

Tu t’es essayé à de nombreux genres musicaux au cours de ta carrière, mais tu t’es voué à la musique traditionnelle. Est ce que la musique traditionnelle, patrimoine immatériel français, est assez protégée et enseignées ? 

Avant d’être leader de Pakatak et Avan-van, j’étais un musicien de bal ! Autrement dit, les genres musicaux abordés étaient très variés ( biguine, mazurka, valse, polka, merengue, boléro, cha cha cha, cumbia, calypso, guaguanco, bomba, pléna, compas direct…)

Depuis la création du groupe Pakatak, j’ai arrêté avec les bals pour me concentrer sur les concerts de musique traditionnelle.

Tout au long de mon parcours, je n’ai pas fait de calcul, je ne me suis pas essayé à de nombreux genres musicaux. Les collaborations sont une question de feeling et de circonstances.

C’est le cœur qui parle !

Si je ne m’entends pas avec quelqu’un, on n’ira pas loin en musique…

Collaborer avec Ti Jak et les Frères Dodo Twoubadou m’ont encore rapproché de Haïti que j’adore.

Avec le pianiste Thierry Pécou nous avons fait des concerts « Haute nécessité » de musique contemporaine en Martinique et en Métropole ! Une belle expérience ! Le chouval bwa a été revisité !

Le Trio d’argent avec la création « Souf chouval bwa » a été une très belle aventure qui nous a conduit en Martinique, en

Guyane, au Brésil et en Métropole… C’était là une rencontre enrichissante entre la musique contemporaine et le chouval bwa !

Le concept « Mélanj » avec Sylviane Lorté, Marie-Céline Chroné, Ismael Wonder a été une commande du théâtre Antoine Vitez d’Ivry !

C’est encore Leila Cukierman du Théatre d’Ivry qui m’a fait rencontrer Jean-Rémy Guédon, ce qui a donné naissance au concept « Guédon / Laviso / Saint-Prix »

Tant que le plaisir est là, la musique suit !

L’album en espagnol et créole « Raices y Culturas » est né d’une amitié Martinique Cuba ! Beaucoup de spontanéité guide mes choix !

Idem pour l’album « Dédé Saint-Prix / Gérard Pomer », je chante du gwoka composé par mon ami frère !

Quant à la musique traditionnelle, patrimoine immatériel français, je trouve qu’elle mérite une meilleure place dans les médias et les major companies ! Les festivals et les médias qui la mettent en avant ont de moins en moins de subventions…

La Martinique attend toujours son conservatoire national…

Peux tu nous dire Dédé, si de nos jours les musiques traditionnelles évoluent et, peuvent encore être source d’innovation ?

Les musiques traditionnelles sont parfois mieux considérées par des étrangers que par ceux qui l’ont vu naître.

En Suède, j’ai vu un magasin de disques spécialisé en musiques traditionnelles ! Il était mieux fourni que certains que certains disquaires antillais…

S’il y a évolution, c’est parce qu’il y a eu des échanges culturels ! Combiens de concepts innovants ont vu le jour ?

Combien ont été soutenus ?

Parfois « les gardiens du temple » sont intransigeants ! Ils ne valident pas tout car les « codes » ne sont pas respectés.

Il est possible de s’ouvrir à l’autre tout en gardant son identité !

Quand Paul Simon ou Peter Gabriel vont chercher des musiciens dans la brousse pour les médiatiser, le monde entier applaudit ! Quand c’est la brousse qui se démène seul pour y arriver, l’accueil n’est plus le même ! Faut-il être « dilué » pour être mieux vu ???

Dédé, tu t’es produit en Espagne, en Angleterre, au Brésil, aux Etats-Unis, en Belgique… et encore récemment en Colombie et au Canada. Comment est perçue ta musique lors de tes concerts à l’international ? 

À l’international, le public est surpris agréablement par la richesse et la subtilité du rythme chouval bwa.

Dans les master class, ils en redemandent ! Le tibwa, le tambour, le chacha ainsi que les deux basses ont beaucoup d’adeptes.

Il faut dire aussi que ma pédagogie est accessible dès les premières notes. Ma manière d’écrire le rythme est à la portée de tous.

Quand j’interviens avec Tato Marenco en Colombie, le public est conquis par la vitesse d’exécution et l’harmonie entre la gaita colombienne et la flûte en bambou ; entre le chouval bwa et la cumbia ! Cette facilité d’adaptation a surpris plus d’un.

Tu viens de sortir ton dernier album DRIKOURAMAN, pourrais tu nous parler de ce nouvel opus ? Quel est sa couleur musicale ? Quel message véhicule tu à travers ?

Ce nouvel opus est pour moi un retour aux sources du chouval bwa. Il est tenté d’amour, d’amitié, de tolérance, de bienveillance, de persévérance et de fraîcheur.

Au niveau de la couleur musicale, je me suis rapproché de l’essence originelle. Les deux basses de mes débuts sont omni présentes. On sent l’influence de mes voyages sur un chouval bwa au gout du jour.

Dans les textes, j’insiste sur l’éveil des consciences et l’estime de soi. Je chante aussi la Nostalgie, mon indignation, l’esprit de la fête, l’auto dérision…

Sur la scène musicale actuelle, vois tu quelques artistes qui pourraient prendre ta relève ou devenir comme toi, un griot de la musique traditionnelle ?

La musique traditionnelle n’est pas une mode ! Ce sont les racines ou l’identité d’un peuple.

Je connais des conteurs, des musiciens ou encore des anonymes qui ont le potentiel pour prendre le relais. Ceux qui ne pensent qu’à l’argent seront déçus car c’est un travail de fourmi.

Ce n’est pas le prix qui compte c’est la valeur.

Comme nous, tu as apporté ton soutien à l’arrivée de Radio O sur la bande FM. Pourrais tu nous dire pourquoi et, quels sont les enjeux ?

Nos artistes, notre musique, la langue créole, les outre mers méritent une radio FM qui rayonne dans tout l’hexagone.

Dans les hautes sphères médiatiques, il y a des ultramarins qui font beaucoup de mal à notre action, ils ne jouent pas le jeu, ne voulant pas être mal considérés par leur direction…

Sans leur appui, nous ne gagnerons pas !

PÉTITION sur Change.org

Avant de refermer cette interview, je te laisse le mot de la fin.

N’ayons pas peur de nous-mêmes !

Bonjour ne veut pas dire « je vous aime » !