francoise-lancreotAujourd’hui, dans notre interview « Dé mó, Kat pawol », je reçois la musicologue et écrivaine guadeloupéenne Françoise Lancréot, dont le premier roman « Paulinius l’insoumis » est paru aux éditions Sépia.

Françoise, pour nos lecteurs, pouvez-vous vous présenter et nous décrire votre parcours et votre univers littéraire ?

J’ai étudié la musique, toutes les musiques. Je me suis spécialisée dans l’ethnomusicologie avec comme terrain d’étude la Caraïbe. En effet, les musiques de cette aire ont d’une part une racine commune, l’Afrique, mais sont aussi liées entre elles par des rythmes et des instruments de la même famille. Par exemple, la lecture du gwoka se fait à la lumière du quadrille, de la biguine et vice versa sans compter celle des genres musicaux des autres iles. Je joue de la flûte traversière et c’est aussi à travers cet instrument qui peut-être de facture très artisanale en bambou, en bois, mais aussi en métal, que j’ai visité de nombreuses traditions musicales du monde comme celle du Japon de l’Inde et de bien d’autres pays qui m’ont permis d’ouvrir mon horizon. J’ai aussi étudié le jazz et la musique classique. La culture est un domaine que j’ai investi durant ma carrière par le biais de l’organisation de festivals culturels. Enfin, j’ai œuvré dans l’éducation afin de favoriser l’expérience esthétique des plus jeunes, leur apprendre à écouter la musique à travers le silence.
J’apprécie beaucoup la poésie et des auteurs comme Aimé Césaire, Tahar Ben Jelloun, Raphael Confiant, Denis Grozdanovitch et Sylvain Tesson. Si de telles références sont des phares, c’est en soi-même que face à la page blanche, il s’agit de puiser l’inspiration qui demeure un mystère.

L’année dernière, vous avez publié chez Sépia, votre premier roman, « Paulinius l’insoumis ». Comment êtes-vous venue à cette histoire, qui est éloignée de l’univers musical dont vous êtes une experte reconnue ?

Elle pourrait sembler éloignée mais ne l’est pas en réalité. C’est la musique qui m’a conduit vers cette histoire. Une chanson, à propos de Paulinius, ce héros. Cette musique est aussi présente tout au long de cet ouvrage. Je l’espère. La musique des mots, leur sonorité, celle des phrases, leur rythme et leur tempo, sans oublier celle qui revient tout au long de l’ouvrage, lors des baptêmes, des veillées, lorsqu’une des héroïnes est submergée par le chagrin, une musique qui ponctue ce roman et la vie des personnages.

L’histoire de Paulinius prend pied au début du 20e siècle, vous y décrivez les relations humaines de l’époque dans un contexte historique tendu et assez méconnu, puisque marqué par des grèves dans l’industrie sucrière dont l’une, en 1910, a fait 1 mort et plusieurs blessés. Comment avez-vous procédé pour reconstituer cette période dans ses relations humaines et ses tensions, afin de faire vivre l’histoire de Paulinius ?

Je passe beaucoup de temps dans les bibliothèques. C’est un plaisir pour moi de butiner d’un livre à l’autre pour piocher des informations et les passer au tamis à la recherche de pépites. C’est ce que j’ai fait aux archives nationales, à la BNF etc, mais aussi dans les journaux de l’époque. L’idée était de m’imprégner de la grande et de la petite histoire. Celle qui est en quelque sorte officialisée et celle qui l’est moins et que l’on trouve dans la presse d’opinion, dans des chansons, où même par le biais de témoignages de terrain.

Paulinius n’est pas un personnage de fiction, il a vécu et, est décédé en Guadeloupe. Avez-vous recherché l’un de ses descendants directs ou, en ligne collatérale, pour vos recherches ?

Je n’ai pas rencontré ses descendants directs, car j’étais à la recherche de personnes ayant vécu à son époque de témoignages de première main. Il est mort en 1918 et dans les années 1980, il y avait encore des hommes et des femmes qui l’avaient connu et côtoyé. C’est ce qui m’intéressait particulièrement. En dépit de toutes ces recherches, je n’ai pu retracer toute son histoire et c’est la raison pour laquelle il s’agit d’un roman.

Lors d’une interview à Pluton magazine, vous avez dit « Nous avons un devoir de mémoire, encore faut-il connaître nos héros. L’histoire de La Caraïbe est orale, elle demande, elle exige de prendre le temps de trouver ceux qui peuvent témoigner, et de retranscrire ces traces. ». Pensez-vous que ce devoir de mémoire envers les Héros qui ont fait l’histoire des Antilles françaises n’est pas suffisamment fait ? Que faudrait-il faire pour ces héros puissent avoir la place qu’ils méritent dans le panthéon des héros français ? Est-ce un appel aux écrivains ultramarins pour qu’ils fouillent fassent remonter ces grands oubliés ?

Il me semble que beaucoup a été fait et qu’il reste par ailleurs beaucoup à faire. Je parlais toute à l’heure de grande et de petite histoire. Je tente de les lier afin de ne pas m’arrêter à des représentations réductrices qui peuvent provenir des uns ou des autres, car l’histoire est aussi une question de point de vue. Dans ce roman, j’ai choisi d’adopter celui du héros et de ses pairs et d’utiliser l’immense richesse du patrimoine chanté, savant ou populaire, réaliste ou poétique, spontané ou réfléchi. Nous avons je le pense, un devoir de mémoire envers nos héros. Dans cette perspective, il nous revient de jouer un rôle majeur, les retrouver, les exhumer de leurs cendres, mais cela demande un travail de fond, de fourmi auquel il faut se confronter.

Françoise, question indiscrète, après « Paulinius l’insoumis », préparez-vous un nouveau roman pour la sortie littéraire 2017 ?

Je continue dans la voie que je me suis tracée, celle d’écrire. Sans doute pour redessiner le monde, l’écouter, témoigner en se laissant guider par son intuition sans se donner d’impératif.

Avant de refermer cette interview, Françoise, je vous laisse le mot de la fin.

Dans le roman « Paulinius l’insoumis », j’ai tenté d’explorer avec humanisme l’histoire antillaise en projetant le lecteur au cœur de celle-ci. Paulinius est à la recherche de lui-même. N’est-ce pas encore de nos jours la quête à laquelle cette société est encore soumise ?