Invitation du 15-10-2015 CanopyEn ce début de rentrée littéraire, Gerty Dambury nous présente son dernier roman, La Sérénade à Poinsettia, aux éditions du Manguiers.

« Cinq voix se succèdent pour nous raconter l’histoire de Poinsettia, Joseph et Paul et pour nous dévoiler le secret des parents de Poinsettia, Georges et Félicia Fridlan.

C’est au travers des Paroles marquées de Poinsettia,  du Récit d’Amie Lou, du Récit de Béziat, des Pensées secrètes de Paul et des Exaltations de Joseph que le récit se déploie au fur et à mesure.

Quel est ce récit ?

Poinsettia Fridlan a été élevée à l’écart du monde par ses parents Georges et Félicia. Elle a grandi à Goyave sans avoir fréquenté écoles ou lycées, sans aucun rapport avec ceux du bourg. Elle est étrange et étrangère, de ce fait, elle intrigue.

Au point qu’un jour, trois ivrognes font serment, sous ses fenêtres, de la sortir de son silence. La tâche échoit à Joseph, vieux célibataire, qui se prend au jeu et tente de séduire cette femme esseulée. Le voici donc, faisant les cent pas sous les fenêtres de Poinsettia et rêvant de lui jouer une sérénade. Pour ce faire, il tente de convaincre son jeune frère, Paul, musicien génial mais en perte de vitesse, assez aigri, de lui écrire une musique exceptionnelle qu’il jouerait à Poinsettia. Paul refuse. Mais voici que Joseph, dans son exaltation, entraîne Poinsettia à le suivre à Pointe-à-Pitre et qu’elle rencontre Paul. La vie de tous les personnages change à partir des différents voyages qu’ils accomplissent les uns vers les autres et Poinsettia elle-même accomplit, avec l’aide de Béziat l’ami de son père, le dernier parcours qui lui permettra de découvrir la vérité sur l’histoire de ses parents.

Comment est né le texte ?

La Sérénade à Poinsettia est un roman au destin singulier.

Il fait partie de ces textes que l’on garde à ses côtés durant de longues années et puis, un jour, le tiroir s’ouvre, on en sort le manuscrit et une porte est là, en attente, pour accueillir cet enfant réticent à voir le jour.

J’ai écrit La Sérénade alors que je vivais à Goyave, une commune que j’ai beaucoup aimée, pour ses magnifiques paysages, ses rivières bouillonnantes, le calme de son petit bourg. Mais j’y ai également vécu une sorte d’enfermement, isolée car n’étant pas enfant de la commune. Nos bourgs ont cette manière de vous faire savoir que vous êtes venue d’ailleurs, que vous serez toujours de passage, en quelque sorte.

Pour cette raison, sans doute, j’ai imaginé ce personnage de femme seule dans le bourg de Goyave, une ombre qui passe de temps à autre, pour des raisons précises : acheter son pain, son café, son journal. Rien d’autre.

Et, cependant que mon héroïne est totalement isolée, elle appartient au bourg. On la guette, on imagine sa vie, on parle d’elle car, dans le fond, chacun a besoin de rêver également, de s’évader de ce qui lui est pleinement familier : et quoi de mieux, pour asseoir ses rêves, qu’un personnage étrange, étranger, à qui l’on peut prêter toutes sortes de pensées, de paroles, d’histoires, voire d’aventures. Tout est possible à partir de l’inconnu.

J’avais donc, en créant le personnage de Poinsettia, le désir de mettre en scène l’étrangeté, la drôle de relation que l’on entretient avec ceux qui nous échappent.

Mais j’avais également envie de parler de musique et de musiciens.

J’ai grandi parmi des musiciens : père, oncle, frères, sœur. Accordéonistes, trompettistes, pianistes, percussionnistes, chanteuse lyrique.

La musique les habitait totalement et en même temps, elle était vécue comme une malédiction. Ceux qui tentaient d’en vivre en étaient les victimes.

Le personnage de Paul est très clairement inspiré de mon frère Philippe Dambury, pianiste génial, décédé le 09 juillet dernier.

Un musicien dont le talent seul aurait dû suffire à lui ouvrir toutes les portes, mais quelque chose ne fonctionne pas. Est-ce dû à notre pays ? Est-ce dû à l’absence de soutiens ? Est-ce le musicien lui-même qui trace ses propres limites ? Quoi qu’il en soit, c’est de cette difficulté de vivre de sa musique que je voulais parler.

Et puis, parler de la singularité de l’art, de la relation entre l’art et la mort également. Je voulais donner à voir un artiste dont l’engagement absolu dans son art, rendait impossible tout compromis avec le quotidien, avec tout ce qui ne lui paraissait pas indispensable.

Le personnage de Paul vise l’absolu. Les petites hésitations de Joseph, son frère, l’absence d’engagement des autres musiciens qui passent dans le roman, Félix, Marietta et les membres de leur petit groupe de musiciens, tout cela l’exaspère au plus haut point, car pour lui, il n’y a de vrai et d’indispensable à sa vie que la musique qu’il veut offrir à celui ou celle dont il pressent qu’il ou elle pourra l’accueillir pleinement.

D’une certaine manière, Paul pressent que Poinsettia est cette oreille à laquelle il peut livrer sa musique précisément parce qu’elle aussi a été élevée par des parents qui se sont retirés du monde, par un père en quête d’absolu et une mère que plus rien n’aurait pu ramener à la quotidienneté.

Mais cette découverte est, en elle-même tragique, car rien n’est possible entre Paul et Poinsettia. Joseph se dresse entre eux.

La forme

Je travaille toujours beaucoup sur les formes que je veux donner à mes récits, précisément parce que, fille et sœur de musiciens, il me fallait trouver mon instrument. L’écriture est ma manière de trouver ma place dans le concert des musiciens…

Je travaille aussi en écoutant de la musique. De la même manière que, pour Les Rétifs, j’ai travaillé à partir du quadrille, que pour Trames, j’ai écouté Ali Farka Touré, pour La Sérénade à Poinsettia, j’ai principalement écouté Miles Davis et Cannonball Adderley, que l’on retrouve d’ailleurs dans le roman et un autre morceau que je cite également, Children de Charly Chomereau Lamothe et Kean-Claude Montredon.

Au cours des dernières relectures, j’ai longuement écouté l’un des morceaux préférés de mon frère Philippe, Return to forever de Chick Corea

La musique est donc centrale dans mon écriture. J’entends les phrases avant de les écrire et si je ne les relis pas forcément à voix haute, je les écoute, je les porte à l’oreille.

Je travaille donc essentiellement sur des textes polyphoniques : plusieurs voix qui quelquefois s’emmêlent – on trouvera, dans La Sérénade, un chapitre s’intitulant Exaltations mêlées.  Au théâtre également, j’aime que des répliques s’intercalent, comme un instrument qui joue sa partition singulière.

J’ai choisi, pour La Sérénade, d’avoir cinq voix, avec des modes d’expression différente. Paul ne parle pas comme Joseph, il est plus direct, quelquefois grossier, Poinsettia a son propre style vu qu’elle se prend pour une héroïne d’opéra, Amie Lou est une voix qui hésite, qui cherche son expression, qui s’ exclame, affirme avant d’hésiter à nouveau.  Bref, ils ont, je l’espère, chacun, leur propre musicalité.

Ils reconstituent le récit pour une oreille inconnue. À qui parlent-ils ? On ne le sait pas. Mais ils racontent, c’est certain. Au lecteur sans doute, en premier lieu. Mais j’aime assez à penser qu’en réalité mes personnages me racontent une histoire que je suis juste chargée de porter jusqu’au lecteur.

C’est cela, pour moi, le travail d’écriture. C’est cela, pour moi, La Sérénade à Poinsettia. »

Vous pouvez rencontrer Gerty Dambury le 15 Octobre à 19h30, à l’espace CANOPY (19, rue Pajol) Paris 18e, pour la présentation publique du roman.