Lemy Lemane Coco

Lemy Lemane Coco

Est-il possible d’envisager une compensation pour les descendants d’esclaves ?

A-t-on le droit de réduire la mémoire de l’esclavage à des considérations financières ?
Depuis quelques années, des associations mènent une lutte dans la perspective de voir les descendants d’esclaves recevoir une compensation pour les crimes perpétrés par l’esclavagisme. Même si cette revendication n’est pas approuvée par beaucoup d’entre nous, il n’en demeure pas moins qu’elle apparaît comme un enjeu majeur pour corriger les traumatismes liés à l’esclavage.

Le président de la république, François Hollande a répondu négativement à cette question en décrétant que : « l’histoire ne peut pas faire l’objet d’une transaction », tandis que Christiane Taubira évoque « la nécessité de réfléchir à des formes de politique foncière et de redistribution des terres en faveur des descendants d’esclaves dans les territoires français d’outre-mer ».

Cela suffirait-il pour guérir les plaies de l’esclavage ?

Toujours est-il que ces débats mettent en lumière un aspect méconnu de l’esclavage : l’abolition a été accompagnée de compensations financières très substantielles au bénéfice des propriétaires d’esclaves, mais aucune commission chargée de débattre sur les séquelles psychologiques liées à la dévalorisation de la vie des ex-esclaves n’a été mise en œuvre.

Aujourd’hui, une surprenante « commission de réconciliation » est proposée, par l’association Cran, pour créer le dialogue entre les descendants des familles négrières et les victimes de l’esclavagisme. Le peuple noir n’a jamais été en guerre avec le peuple blanc, fut-il maître d’esclaves. Il a seulement lutté farouchement contre cette iniquité. Il a lutté pour la dignité et la liberté de l’individu. Quel dialogue peut-il avoir entre nos communautés si ce n’est le devoir de mémoire pour bien vivre ensemble dans la dignité, la responsabilité, la vigilance et la transmission.

Les descendants d’esclaves doivent échapper à l’illusion collective et individuelle. Ils doivent sortir de la souffrance traumatique liée à la traite négrière. Les « nouvelles » attitudes qui émanent de cette compensation auront tendance à se répéter dans le temps jusqu’à en devenir « naturelles ».

Peut-on effacer de la mémoire les atrocités de l’esclavage par un chèque ?

Dans ce cas, plusieurs questions surgissent.

Quelle somme peut-on allouer à cette tragédie ?

Comment indemniser un métis dont un ascendant était esclave et l’autre maître ?

L’effroyable casse-tête généalogique généré par l’esclavage permet-il de réparer financièrement ce crime ?

Qui doit payer – l’Etat ou les familles négrières ?

Le terme « compensation » évoque clairement un dédommagement financier dont la mise en place s’avère très compliquée, tandis qu’une réparation psychologique généralisée pourrait permettre aux descendants d’esclaves de sortir du traumatisme historique dont la permanence entretient des conflits raciaux et provoque la stagnation. La traite négrière résonne encore sinistrement dans la mémoire des descendants d’esclaves.

Une telle tragédie ne peut pas être sans effets sur les individus dans la mesure où ils sont contraints de trouver des stratégies d’affirmation. Les caractéristiques fondatrices des sociétés post esclavagistes ont provoqué un sentiment d’exclusion qui persiste dans l’esprit des descendants d’esclaves. Comment s’inscrire dans une société multiraciale lorsque l’on est porteur d’une telle blessure ancestrale ? Il est important pour la conscience de ce peuple, que la mémoire de l’horreur de ce crime soit établie. Qu’elle soit psychologiquement traitée pour que les non-dits qui encombrent notre mémoire soient élucidés.

Dans ce cas, une réparation psychologique généralisée s’impose. Elle pourrait prendre la forme de structures d’éducation pour l’acquisition de l’estime de soi et la construction de sa résilience, afin de gommer le déséquilibre psychologique qui s’éternise dans les sociétés post esclavagistes. Elle pourrait prendre la forme de structures citoyennes qui permettraient de débattre sur les questions de l’esclavage. Sur ce thème, des d’échanges culturels, des bourses d’études ou artistiques, des recherches universitaires pourraient être proposés dans ces structures d’éducation.

Là serait à mon sens la première action réparatrice : faire prendre conscience aux familles des attitudes éducationnelles qu’elles entretiennent inconsciemment par transmission générationnelles.

C’est ce type de réparation qu’il faut développer.

Le traumatisme historique est le pire fléau des sociétés post esclavagistes !