Joseph ZOBEL,
Le cœur en Martinique et les Pieds en Cévennes
par José LE MOIGNE
A l’hôpital d’Alès
Plusieurs fois par an, je me rends à Anduze pour rendre visite à Joseph Zobel et rester quelques jours avec lui. Son admission, il y a un peu plus d’un an en maison de retraite, n’a rien changé au rituel, sauf que je loge à présent chez des amis. En novembre, déjà, il n’allait plus très bien.
Un grand écrivain, dans une petite chambre, sans table digne de ce nom, sans livre, et dans un cadre débilitant ! Comment, même s’il ne s’en plaignait jamais, aurait-il pu l’admettre. Et puis, l’absence de son fils, Roland, mort l’année précédente, se faisait trop présence. Il y a un mois, cependant, je ne m’attendais pas à le retrouver à l’hôpital d’Alès, les mains liées aux montures du lit, dans un état quasi végétatif, délirant en créole. Mon épouse et moi lui avons pris les mains, comme pour accompagner sa fuite vers les îles. Il ne nous a reconnu qu’à notre départ. Trois jours plus tard, Joseph va mieux. Il nous reconnaît, fait le joli cœur auprès de Christine :
Que vais-je offrir à cette dame ?
Il lui prend la main, joue avec le cabochon qu’elle porte au doigt.
— Mais je lui ai déjà offert cette bague.
Plus tard, l’infirmière lui apporte deux yaourts qu’il refuse sans ménagements
— Ah, ma chère, dit-il doctement à Christine : Le boudin antillais, c’est quand même autre chose !
Au moment où, rassurés, nous prenons congé de lui, nous n’avons pas fait dix mètre dans le hall que je l’entends crier, avec toute sa vigueur d’autrefois.
— José !
Viens là, me dit-il en faisant signe de l’approcher. Tu te rappelles de ce jour où nous avons fait la sieste ensemble dans ma chambre de la maison de retraite ?
— Oui !
Et bien je vais te dire quelque chose.
— Quoi ?
— La prochaine fois on fera un repas tout simple, mais ni toi ni moi ne sommes capables de le faire. Francis [NDLR : Francis ZOBEL, son fils, cuisinier émérite] peut-être en approcherai mais ce ne sera pas ça [JLM1]…
— Quoi ?
— Le boudin créole.
Le soir même j’ai commencé à écrire ce livre*.
* * *
Extrait : Tout l’Art de la Lenteur